Avec l’aimable autorisation de Solagro, nous reproduisons ci-dessous un article paru dernièrement sur Osaé, “Plateforme d’échanges pour la mise en pratique de l’agroécologie “ article qui revient sur un colloque resté dans toutes les mémoires et organisé en juillet 1976 sur le thème “Les bocages, histoire, écologie, économie”. Alors que les 6èmes Rencontres nationales arbres et haies champêtres rassembleront 500 participants sur ce même thème en Bretagne du 21 au 23 novembre 2018 à Lannion, il est intéressant de se replonger dans ce colloque inédit.
En juillet 1976, l’INRA, le CNRS et l’université de Rennes organisaient un colloque sur le bocage pour faire le point sur les recherches engagées depuis déjà quelques années concernant l’écologie et l’économie de ce paysage agraire typique du grand ouest, mais pas seulement. Cela fait déjà 42 ans et ces travaux restent toujours d’actualité d’autant qu’un tel programme concerté et pluridisciplinaire n’a pas vu le jour depuis.
Depuis 1976, et même avant, le bocage n’a fait que reculer et l’agriculture s’intensifier, et les impacts prévus à l’époque se mesurent aujourd’hui.
Le bocage possède avant tout des fonctions hydrauliques de lutte contre l’érosion et l’écrêtement des crues. Ainsi, Philippe Mérot avait comparé un bassin versant bocager et un bassin versant ouvert. Résultats, les débits maximum des crues sont 2,1 fois plus élevés en milieu ouvert qu’en milieu bocager et le volume des crues 1,7 fois plus important. Cela est dû à une réduction du ruissellement et à un stockage plus important de l’eau dans le bocage.
- Pihon a estimé dans les parcelles de maïs ensilage que la sédimentation en amont du talus correspond à 25 t/ha/an. Le talus interceptait ainsi plus de 70 % de l’érosion (9 t/ha/an de terres seraient exportées de la parcelle). Mais pour autant, le champ n’en est pas moins érodé. En moyenne, sur la station Rennes Saint-Jacques, une année sur 10 est considérée comme une pluie de forte intensité pouvant entrainer une érosion de plus de 100 t/ha.
- Jacques Mesquida a estimé que les rendements en miel étaient de 27 % supérieur en zone bocagères qu’en zone arrasée (18,2kg par ruche contre 14,3kg).
- Constant, Eybert et Maheo ont estimé que le nombre d’espèce de passereaux, entre une zone bocagère et une zone ouverte, passait de 40 espèces à 23 et la densité pour 10 ha de 99 à 35 (13 espèces disparaissant complètement).
- Jean-Patrick Le Duc a, quant à lui, montré que la densité de chouette hulotte chutait fortement quand la maille des parcelles dépassait 5,8 ha.
- Concernant les reptiles se met rêver quand Marie-Charlotte Saint-Girons et Dupuy estimaient que dans les cas les plus favorables, 100 mètres de talus pouvaient abriter des populations adultes d’une quinzaine de lézards verts, d’une dizaine de couleuvres à collier et d’une trentaine de vipères.
Autre intérêt du bocage : la lutte biologique ; ainsi, Kory a montré sur une étude longue durée (1965 – 1973) que la mortalité des doryphores était plus élevée dans les zones voisines de haies du fait de la grande abondance de différents prédateurs. Le taux de destruction des œufs de doryphores est presque 2 fois plus élevé au voisinage des haies quand dans les champs ouverts.
En résumé, l’effondrement de la biodiversité observé aujourd’hui en 2018, notamment chez les oiseaux, les reptiles et les abeilles, avait déjà été diagnostiqué en 1976. Si à cette époque, on ne parlait pas encore de changement climatique et de stockage de carbone, on mesurait déjà l’intérêt des haies pour réguler l’écoulement des eaux ou maintenir une haute valeur naturelle.
Pour ceux qui doutent encore de l’intérêt structurel et systémique de la haie, on ne peut que leur conseiller de lire les 586 pages de ce colloque inédit auquel avait participé 140 chercheurs : « Les bocages, histoire, écologie, économie : Table ronde, C.N.R.S., “Aspects physiques, biologiques et humains des écosystèmes bocagers des régions tempérées humides”, I.N.R.A., E.N.S.A. et Université de Rennes, 5, 6 et 7 juillet 1976»